Face à la crise sanitaire et aux mesures de fermeture des commerces imposées par le gouvernement, bailleurs et preneurs des locaux commerciaux sont placés dans une situation exceptionnelle, non choisie, avec la problématique suivante :
Comment gérer le bouleversement économique créé par la fermeture des commerces dits non essentiels ?
- Quid du règlement des loyers ?
- Quid de la couverture de la perte d’exploitation ?
Règlement des Loyers
Coté Preneur à bail : comment payer une charge fixe sans avoir de contrepartie?
Coté Bailleur : pourquoi abandonner un loyer sans contrepartie ?
Et ainsi sur quelle base légale justifier ou refuser un non-règlement partiel ou total des loyers ?
En droit, se pose la question de l’exécution du contrat de bail : y-a-t-il un cas de force majeure, les critères étant réunis ? Y-a-t-il absence de la délivrance de la chose louée, de manière à conclure si oui ou non il y a possibilité d’exécuter le contrat, indépendamment de l’existence d’une faute ?
A ce jour, la jurisprudence n’a pas une position unifiée.
Concernant l’argument de la force majeure, dans son arrêt n° 20/05041 du 9 décembre 2020, la Cour d’Appel de Paris a reconnu « que la fermeture totale d’un local commercial du fait de l’état d’urgence sanitaire et du confinement est susceptible de revêtir le cas de force majeure », et ainsi qu’il y a lieu à contestation sérieuse quant à l’exigibilité des loyers à compter du 17 mars. Dans d’autres arrêts, les juridictions ont refusé de reconnaître la contestation sérieuse inhérente.
C’est sur la question de la délivrance de la chose louée que le contentieux s’est porté ces derniers temps, mais également de façon contradictoire.
Deux décisions récentes en témoignent :
TJ La Rochelle, 23 mars 2021, n° 20/02428
Paris, pôle 1, ch. 2, 18 mars 2021, n° 20/13262
Le tribunal judiciaire de la Rochelle valide le non-règlement des loyers pour non-délivrance de la chose louée tandis que la cour d’appel de Paris prend la position inverse.
Le tribunal judiciaire de La Rochelle, statuant au fond, rappelle les dispositions de l’article 1722 du code civil concernant la perte de la chose louée et décide que, « pour la période du 16 mars au 11 mai 2020, le preneur ne doit aucun loyer », pour les motifs suivants :
« Il est constant que la perte de la chose peut être assimilée à l’impossibilité d’user des locaux en raison d’un cas fortuit au sens de cet article (Civ. 3e, 30 avr. 1997). De même, la perte de la chose louée est établie lorsque le locataire est dans l’impossibilité de l’utiliser par suite de l’application d’une disposition légale intervenue en cours de bail (Civ. 3e, 12 mai 1975).
Il est tout aussi constant que la perte peut être matérielle ou juridique. L’article 1722 précité peut s’appliquer, sans qu’il y ait eu détérioration matérielle, dès lors que le preneur se trouve dans l’impossibilité de jouir de l’immeuble, d’en faire usage conformément à sa destination.
Il est de droit qu’une décision administrative ordonnant la suspension de l’exploitation d’un commerce équivaut à la perte de la chose louée.
Cette perte peut être partielle, dès lors que la fermeture présente un caractère provisoire. »
L’inexécution de l’obligation dispenserait le cocontractant de sa propre obligation.
La deuxième chambre du pôle 1 de la Cour d’Appel de Paris, a constaté la réalité des faits en relevant que « les locaux ont été soumis à l’interdiction d’ouverture » et que la société locataire « n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination » mais sans pour autant conclure à la perte de la chose louée.
Clairement, la notion de faute est à exclure, et toute décision fondée sur cette base serait éronnée.
En l’attente d’une position de droit unifiée (et attendue), la mise en place des dispositifs fiscaux par l’Etat vient corroborer et encourager un abandon de loyer par le Bailleur.
Dispositifs fiscaux d’encouragement
En effet, sans apporter une réponse juridique à la question de droit et afin d’encourager les bailleurs à renoncer à une partie des loyers dus, un dispositif de crédit d’impôt et de déductibilité fiscale a été mis en place par le gouvernement en cas d’abandons définitifs de loyers par la loi de finance.
Crédit d’impôt
L’article 20 de la loi de finances pour 2021 a instauré un crédit d’impôt au profit des bailleurs qui consentiront, au plus tard le 31 décembre 2021, des abandons ou renonciations définitifs de loyers, au titre du mois de novembre 2020, aux entreprises locataires particulièrement touchées par les conséquences des mesures restrictives prises pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
Au Bofip en date du 25 février 2021, l’administration commente ce régime.
Les loyers accessoires exclus de l’assiette du crédit d’impôt s’entendent notamment par ceux concernant la location du droit d’affichage et les redevances qui ont leur origine dans le droit de propriété ou d’usufruit et qui proviennent de la mise à la disposition de tiers, par le propriétaire, de certains droits attachés aux propriétés bâties ou de biens assimilés lui appartenant. Est également concerné par cette mesure d’exclusion le remboursement des charges récupérables afférentes aux locaux faisant l’objet de la location, correspondant généralement aux charges dont le propriétaire est fondé de plein droit à obtenir le remboursement par ses locataires, sur justifications, en sus du loyer principal.
Déductibilité fiscale exceptionnelle des abandons de loyers (anc. art. 1er bis, adopté conforme au texte voté par le Sénat) – Art. 3
Le crédit d’impôt est cumulable avec les mesures prévues par l’article 3 de la deuxième loi de finances rectificative pour 2020 publié au JO du 26 avril 2020 et prorogé par l’article 20 de la loi de finances pour 2021. Ces mesures exonèrent de l’impôt sur le revenu les abandons et renonciations de loyers réalisés au profit d’une entreprise locataire entre le 15 avril 2020 et le 30 juin 2021 dans les conditions et limites mentionnées à l’article 39, 1-9° CGI. Elles prévoient également la déductibilité du résultat imposable des entreprises soumises à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur les sociétés, sans justificatif, des abandons de créances de loyers et accessoires afférents à des immeubles donnés en location à une entreprise consentis entre le 15 avril 2020 et le 30 juin 2021.
Les bailleurs imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux pourront déduire les abandons de créances de loyer et accessoires qu’ils auront consentis entre le 15 avril et le 31 décembre 2020, à des entreprises locataires avec qui ils n’entretiennent pas de lien de dépendance, au sens du 12 de l’article 39 (CGI, art. 39, 1, 9° et 13° modifiés).
Les créances éligibles qui auront fait l’objet d’un tel abandon ne seront pas regardées comme un revenu imposable dans le chef du bailleur ; les charges correspondant à ces revenus resteront cependant déductibles (CGI, art. 14 B nouveau).
Par ailleurs, des mesures similaires ont été adoptées au bénéfice des bailleurs qui relèvent des bénéfices non commerciaux (CGI, art. 92 B nouveau et art. 93 A, I modifié), ce qui permet notamment de viser les situations de sous-location.
Afin de permettre aux entreprises d’imputer les abandons de créances dont elles bénéficient, l’application des dispositions dérogatoires prévues à l’article 209 du CGI pour l’imputation des déficits antérieurs est étendue. Ainsi, les entreprises pourraient imputer les abandons de créances indépendamment du plafond de 1 M€ actuellement prévu.
La couverture de la perte d’exploitation
Un autre sujet préoccupant le preneur à bail est lié à la couverture de la perte d’exploitation par les polices d’assurances souscrites.
TJ Paris, ord. réf., 11 févr. 2021, n° 21/50243
La perte d’exploitation liée à la fermeture administrative des locaux commerciaux peut être prise en charge par l’assurance.
La première décision, relative aux pertes d’exploitation à la suite de la pandémie de covid-19, rendue en référé par le tribunal de commerce de Paris le 22 mai 2020 (n° 2020017022), avait qualifié de « fantaisiste », l’allégation de l’assureur qui « ne s’appuie sur aucune disposition légale d’ordre public mentionnant le caractère inassurable d’une conséquence d’une pandémie » et en avait déduit qu’il lui incombait «d’exclure conventionnellement ce risque », ce qui n’avait pas été le cas dans le contrat en cause.
L’ordonnance de référé rendue par le tribunal judiciaire de Paris le 11 février 2021 condamne l’assureur à couvrir les pertes d’exploitation du fait des stipulations claires du contrat en ce sens, une résistance abusive de sa part étant en outre retenue (Stés S., I. et S. c/ Groupama).
Les différentes décisions intervenues ont été l’occasion de rappeler les conditions de couverture du risque d’exploitation.
Le professionnel souhaitant être indemnisé par l’assurance privée de ses pertes d’exploitations
- doit avoir souscrit une garantie pertes d’exploitation, laquelle n’est que facultative dans les polices multirisques entreprises,
- cette garantie pertes d’exploitations doit pouvoir s’appliquer sans dommage matériel préexistant,
- aucune exclusion relative à un fait générateur de type épidémie ou pandémie ne doit figurer dans la police sachant que l’exclusion doit figurer en caractères très apparents dans la police (C. assur., art. L. 112-4, al. 3), mais aussi être formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1).