Dans un contexte de profonde mutation, il est essentiel de sensibiliser les professionnels de l’immobilier de demain aux conséquences multiples du numérique sur le cadre juridique de l’immobilier.
Convaincu de l’importance des enjeux de la transformation de l’immobilier par le développement des services connectés et du numérique, le Cabinet intervenait début mars auprès des étudiants de l’ESTP Paris en mastère Management de l’Immobilier et des Services (MIS).
L’occasion pour nous de partager nos réflexions avec ces futurs professionnels et de répondre à leurs questions.
Ces sujets font l’objet d’un groupe de travail au sein de la commission juridique de la Smart Buildings Alliance (SBA).
Pour sensibiliser les futurs professionnels de l’immobilier, nous avons choisi lors de notre intervention d’aborder 4 points majeurs :
- L’objet « immobilier »
- Les enjeux du « numérique » en lien avec l’immobilier
- Les données personnelles
- Les outils
1. L’objet immobilier
Une « Promesse » à définir
Que construit-on ? Que vend-on ? Que loue-t-on? Qu’exploite-t-on?
Aujourd’hui, il est question d’immobilier connecté, intelligent, durable, il est également question de fonctionnalités, d’usages connectés et maitrisés, de développement durable …
Le bien immobilier semble correspondre désormais, au-delà du seul bien intrinsèque, à la promesse d’un usage, d’un bénéfice, d’un confort, d’une fonctionnalité, d’un cadre …
Il convient dès lors de se poser la question de la « Promesse » faite entre acteurs du Projet immobilier : entre le maitre d’ouvrage et l’opérateur immobilier, entre l’acquéreur et le vendeur, entre le bailleur et le locataire ?
S’agit-il d’un bâtiment/un ensemble immobilier connecté ? d’une plate-forme de services, de l’énergie à la conciergerie, du co-living au co-working, de la mobilité à la sécurité ? de fonctionnalités ? une interopérabilité ?
Au-delà de la valeur vénale du Bien : un immeuble, une valeur d’usage, est cédée ou mise à disposition : pour plus de confort, plus de services, plus de fonctionnalités (cf: référentiel R2S pour les bâtiments connectés).
Une contractualisation claire est nécessaire entre les différents acteurs de l’écosystème, notamment pour :
Structurer les engagements (droit et obligations) entre les Parties à toutes les étapes de la vie du Bâtiment:
- la conception
- la construction
- la vente
- l’exploitation
Définir le Bien : vendu / loué / à réaliser /à exploiter, afin de poser un cadre juridique de confiance.
A titre d’exemple « Cadre de définition du bâtiment connecté » élaboré par la SBA visé dans la Charte d’engagement « Bâtiments connectés ».
Une « Promesse » dynamique
A l’image des dispositifs prévus dans les contrats de performance énergétique ou dans les actes de cession, avec clause de complément de prix, la Promesse pourra être confirmée, et/ou vérifiée à différentes échéances postérieures à la livraison ou mise à disposition : dans un délai de 1 an à 3 ans par exemple.
Il conviendra alors de rendre déterminables les constituants de cette Promesse dans l’ensemble des contrats. L’anticipation en amont du projet immobilier permettra la meilleure structuration des relations et de la chaine des engagements et responsabilités : promesses faites au Maitre d’ouvrage, à l’Acquéreur, à l’Utilisateur, notamment.
2. Les enjeux
Les enjeux de l’interaction entre l’immobilier et le numérique sont nombreux, néanmoins nous avons fait le choix de nous concentrer sur les 3 principaux.
Quelle performance, quelle durabilité pour le bien, quelle création de valeur ?
- Sont visés la performance technique et fonctionnelle du bien et les garanties associées
- Sont visés les coûts d’exploitation au visa du budget prévisionnel d’entretien et d’exploitation fixé, ou les gains liés à l’exploitation.
Se posent notamment les problématiques de :
- continuité du/des service(s) proposé(s),
- pérennité des usages associés à l’immeuble,
- liens entre le propriétaire, les utilisateurs et le/les exploitant(s)
- gestion du bien
Il conviendra ainsi de préciser les garanties apportées en regard de cette Promesse : les garanties actuelles suffisent -elles ? quel intervenant peut/doit intervenir en cas de défaillances des systèmes et équipements ?
Si les budgets prévisionnels d’exploitation ne sont pas tenus, qui prend en charge les surcoûts ?
Si au contraire, les budgets sont excédentaires, comment s’organisent les flux positifs ?
Les enjeux sont de plus en plus complexes et nécessitent un traçage des relations et des connexions entre les intervenants, en lien avec la définition amont et évolutive, de la Promesse.
La sécurité des personnes c’est-à-dire la gestion sécurisée des données personnelles ?
La digitalisation de l’immobilier, l’introduction du smart building et des services associés, entrainent une réflexion sur la protection des données personnelles, et la nécessité d’être vigilant face aux équipements et services connectés..
Pour exemple :
- Vidéosurveillance : exemple le plus tangible
- Compteur Energie : plus discret mais plus intrusif
- E-conciergerie
- Parking digitalisé
Quelle garantie est mise en place pour protéger les personnes, par rapport à l’usage des données personnelles ainsi générées ? De quels engagements et de quels droits disposent les maitres d’ouvrages, les maitres d’usage, les propriétaires et/ou les utilisateurs notamment ?
Nous y reviendrons un peu plus loin.
Quelle gouvernance ? Qui gère quoi et comment ?
La digitalisation n’a pas transformé les liens et les relations qui existent à ce jour entre les intervenants à un projet immobilier : les droits et obligations demeurent entre les acteurs, engagement de réalisation, engagement de livraison, engagement de mise à disposition, engagements d’exploitation pour schématiser le cycle de l’immobilier.
Simplement, la digitalisation a modifié les engagements des parties.
Elle les a :
- Complexifiés : il y a plus d’intervenants, parfois imbriqués, dans la chaine de production ou d’exploitation du bien, dans la création de valeur
- Virtualisés: il convient de les rendre visibles, appréhendables et gérables pour les parties, “rendre visible l’invisible”
- Inscrits dans une dynamique temporelle : il y a une exécution successive des obligations contractées, qu’il est nécessaire de prévoir et déterminer en amont, et suivre en aval.
De la même manière qu’il est de plus en plus fait appel à un BIM Manager pour gérer les interactions de la maquette BIM, une gouvernance de l’ensemble immobilier s’impose pour sa gestion et son animation.
Qui va gérer les infrastructures techniques, les usages, sur les parties communes ou les données communes, et comment ? Qui décide de poursuivre ou supprimer, des partages des espaces /de services au sein du bâtiment ou de l’ensemble immobilier ?
Syndic, tiers opérateurs ou maitre d’usage, il convient qu’une organisation soit prévue, qui garantisse la tenue de l’ensemble de la Promesse, la sécurité de celle-ci mais aussi son éventuelle évolutivité. Elle sera retranscrite dans les statuts, le règlement ou le cahier des charges de l’ensemble immobilier. Il y a ainsi une gouvernance interne et externe de l’ensemble immobilier à organiser.
3. Les données personnelles :
Avec le développement du BIM et du CIM, ainsi que le développement des services connectés, toute sorte de données sont collectées dans les bâtiments et ensembles immobiliers.
Les sujets de vigilance sont notamment :
- L’utilisation et la propriété de la donnée
- Le porter à connaissance nécessaire des utilisateurs
- Le devoir d’information des « usagers » concernant l’utilisation des données
- Déclaration CNIL si nécessaire
Également et y compris :
- La commercialisation des données,
- L’anonymisation des données.
Ces sujets nécessitent de poser un cadre juridique de confiance.
Pour illustration : le Projet de Référentiel – CNIL – Gestion locative (novembre 2020)
Aborder ce sujet est l’occasion de rappeler quelques principes issus de la RGPD un principe de responsabilisation dans la collecte et le traitement de la donnée :
Article 5 : Principe de traitement des données à caractère personnel
L’attention doit être portées sur :
- Le traitement de manière licite des données
- La collecte des données pour des fins déterminées
- Une adéquation entre la collecte et les fins
- L’exactitude des informations et le droit de rectification
- La conservation de celles-ci (la durée notamment)
Article 6 : Licéité du traitement
Le traitement doit reposer sur une base légale – 6 bases légales sont prévues :
- Le consentement
- Le contrat
- L’obligation légale
- La mission d’intérêt public
- L’intérêt légitime
- La sauvegarde des intérêts vitaux
Article 8 : Conditions applicables au consentement
- Le consentement doit être explicite
Les données collectées ne peuvent l’être que dans un cadre légal et de manière nécessaire et proportionnée.
4. Le cadre juridique – Les outils
A l’heure du numérique, le cadre juridique de l’immobilier se traduit plus que jamais par des actes juridiques. L’évolution et la réflexion se positionnent sur les contractants, les contenus et leur forme.
Les contractants
Il y a ceux qui fabriquent l’objet immobilier : opérateurs immobiliers, maitrise d’œuvre, lot Smart, lots techniques …
Il y a ceux qui font l’acquisition de celui-ci : maitre d’ouvrage, acquéreurs, bailleurs
Il y a ceux qui vont l’utiliser: propriétaire ou locataire
Il y a ceux qui vont l’exploiter : exploitant, mainteneur, prestataires de services.
Le contenu
Il s’agit de la traduction technique et économique de la “Promesse”, qui doit être reprise dans un/des documents portés à la connaissance des parties contractantes :
Cahier des charges, Règlement intérieur, Annexes techniques, pour exemple, en plus des contrats principaux.
La forme
- Dématérialisation des actes créateurs de droits :
La documentation papier laisse progressivement place à la documentation numérique:
- Documentation électronique, E-acte d’avocat
- Maquette BIM / jumeau numérique – Convention BIM et cahier des charges
Elle concerne tous les actes juridiques inhérents à l’ensemble immobilier :
Contrat de promotion immobilière ou VEFA
Contrats techniques
Contrats relatifs aux services / usages – en amont et en aval
Acte de vente et acquisition – Annexes – Cahier des charges
Baux numériques
Contrats d’exploitation
- Dématérialisation des actes de suivi :
Pour exemple
Le carnet numérique du logement
Les Assemblées générales numériques et l’intranet des copropriétés
Sous l’impulsion du législateur, le secteur de l’immobilier est en pleine mutation.
Exemples :
- 2014 : la loi ALUR relative à l’accès au logement et urbanisme rénové autorise les agents immobiliers et administrateurs de biens à recourir au numérique pour certaines opérations :
– obligation d’information des acquéreurs de lots de copropriété,
– possibilité de convoquer une assemblée générale de copropriété par email,
– obligation de proposer aux copropriétés un extranet de liaison entre le syndic et les copropriétaires.
- 2018 : la loi Elan ajoute une nouvelle dimension numérique en appelant à « mettre les transitions énergétiques et numériques au service de l’habitant et de nouvelles solidarités entre les territoires et les générations » et en créant un cadre règlementaire favorable au développement d’un bail numérisé, dans un esprit semblable à celui de la règlementation eIDAS avec la signature électronique.
- Charte d’engagement du Bâtiment connecté – Plan BIM 2022
La SBA, dans le cadre de la Commission juridique, a créé un Groupe de travail sur ces problématiques. Les travaux sont en cours : réflexion pour proposer un cadre juridique.
Le Cabinet participe à ce groupe de travail et contribue à la recherche pour définir ce cadre juridique.
Quelques références juridiques :
- Loi n°2014–
336 pour l’accès au logement et l’urbanisme rénové, dite loi ALUR 24 novembre 2014– - PTNB – 2015
- Charte d’engagement volontaire de la filière du Bâtiment « Bâtiments connectés, bâtiments solidaires, et humain » , 7 décembre 2017
- Règlement général de la protection des données n°02016/679 (RGPD) – 27 avril 2016
, Articles 5, 6 et 7 notamment - Plan BIM 2022 – 15 novembre 2018
- Loi n°2018 – 1021 du 23 novembre 218 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique dite loi ELAN